VIVIANE DALLES

Gallery: What's left, France

  • Béatrice Ardourel, 69 ans, retraitée, VillegailhencJ’ai un problème de mémoire. Des souvenirs sont tellement dispersés dans ma tête… que j’ai l’impression d’avoir encore de l’eau dans ma tête.Quand on voit à la télévision des inondations, on se dit: « Les pauvres gens !Ça doit être terrible de voir sa vie sens dessus dessous ainsi…», même si c’est matériel. Mais quand ça vous touche…Je me revois… Je n’ai pas dormi de la nuit, je voyais par la fenêtre du premier des voitures avec les clignotants et les phares allumés, une autre klaxonnait, des bruits de fracas incessants. Mon locataire m’appelle et me dit:« Ne t’inquiète pas Béa, il y a un amoncellement de voitures contre ta façade…».À ce moment-là, je ne m’imagine pas qu’il se passe quelque chose au rez-de-chaussée. Jamais je ne me serais imaginé une telle vague.Je suis descendue, il y avait un peu d’eau. Tout était en bas, téléphone, ordinateur, papiers… J’ai pris ce qui me venait à l’aide d’une bougie pour m’éclairer. Les pieds dans l’eau, j’ai monté quatre bricoles et quand je suis redescendue, j’étais persuadée de pouvoir prendre d’autres affaires.Mais l’eau était montée. J’ai eu deux mètres vingt dans mon salon. Je me suis assise sur les marches. Je n’ai plus regardé à l’extérieur. Et au fur et à mesure, je montais les marches.Le piano était penché, tout flottait. On avait rentré du bois dans la courla veille. L’eau avait déglingué les portes et le bois était rentré. La seule chose que je voyais de l’escalier et qui m’a perturbée, c’est ce bois qui flottait.Alors, je descendais une ou deux marches et je prenais ces morceaux de bois en me disant que j’en aurais besoin pour me chauffer. J’essayais de sauver ce que je pouvais…Quand le jour pointa, je me suis aperçue que mon monde avait disparu, tout était détruit. Mon cocon était fait, j’étais à la retraite, on avait qu’à s’occuper du jardin. Avec les inondations, c’est un pan de vie qui est parti, avec tous les souvenirs et les gens qui y ont participé.Quand je me suis rendu compte de ce désastre, je suis sortie de ma maison, mais je ne pouvais pas re-rentrer. Je me suis assise sur une chaise, à l’angle de ma rue. Aux moindres personnes qui passaient et qui me demandaientsi j’avais besoin de quelque chose, je disais non. Je ne voulais pas qu’on rentre chez moi et voit la maison comme elle était. J’ai fait ça pendant deux jours.Je devais rentrer pour dormir, mais je ne m’en souviens pas du tout. La seule chose que je disais, c’était « je veux un mixeur», parce qu’Alain, mon compagnon, aime la soupe mixée. Et puis, mon amie Coco m’a amenée à la salle polyvalente pour manger et m’habiller.Au départ, je pensais n’avoir besoin de rien ni de personne. Mais je suis allée voir des psychologues et des thérapeutes. Puis j’ai vu une psychiatre qui m’a fait énormément de bien. Elle a pris sa retraite et je ne fais pas la démarche d’aller voir quelqu’un d’autre. Je suis toujours sous calmants. Quand j’essaie d’arrêter, j’ai des réminiscences qui viennent, mais j’espère y arriver petit à petit.Mes enfants, ma famille sont venus, c’était bien, mais ça ne fait pas tout.Quand il y a un orage, je regarde. Je n’ai pas gardé la peur, mais je suis attentive. Il faut que l’eau passe, s’en aille, et que l’on reprenne sa vie.
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  • Timéo Sanchez, 11 ans, VillegailhencJe me suis réveillé dans la nuit vers 1 h ou 2 h du matin. J’ai entendu des voitures qui se rentraient dedans. Je regardais par la fenêtre dans la nuit, et l’eau montait jusqu’à la fenêtre.Papa, lui, était en train de ranger des affaires. Même si la porte était fermée, l’eau passait. Ça m’a impressionné. J’en ai un peu discuté avec mes copains. Après les inondations, on est resté neuf semaines à Berriac chez papy et mamie.
  • Bernard Sierra, 68 ans, retraité, VillegailhencJ’étais chez moi vers 23 h , il pleuvait très fort, tellement fort que je montaisle son de la télévision. Et puis vers minuit, je suis allé voir ma terrasse, je vivaisau bord de la rivière, l’eau s’écoulait. De nouveau, j’ai entendu taper, très fort, au-dessous. En bas, c’était un garage avec une buanderie. Je me suis dit que quelqu’un était en train de me cambrioler. Je suis descendu avec une battede base-ball. La porte d’entrée s’est fendue en deux sous la pression de l’eau qui était déjà à trois mètres, mais je ne le savais pas. Toute l’eau s’est engouffrée dans la cage d’escalier, je suis monté comme une balle de ping-pong.Je me suis retrouvé dans le salon dans dix centimètres d’eau au premier étage. Le bruit que j’entendais, c’était la voiture, une grosse Toyota qui tournaitet cognait au plafond. Impossible de tenir debout. Je n’ai rien pu sauver.Je panique un peu, j’appelle les pompiers. J’avais presque plus de batterie.« Il vous faut monter sur le toit », me disent-ils.Mon téléphone sonne, c’est mon fils, il m’appelle de Kaboul, en Afghanistan.« Il faut que tu ailles sauver Anastasia, elle est enceinte, elle est à Trèbes,elle est en train de se noyer. Ils ont eu deux mètres cinquante.» Je lui disque je ne peux pas.Je m’assois dans l’escalier, chaque fois que l’eau montait, je montais.Je ramassais ce que je voyais, je gardais n’importe quoi.J’ai appelé mon copain un peu plus bas, je lui ai dit que j’avais de l’eau,il me dit que lui aussi, mais il avait dix centimètres. Je lui dis que c’est peut-être la dernière fois que je lui parle. Il me répond : « Bernard, ce n’est rien, c’estque de l’eau.» Il n’avait pas conscience du niveau chez moi. Je suis montéau deuxième étage et je suis allé me coucher, mais je n’ai pas dormi.J’ai pris six mètres quatre-vingts.Dans la maison, l’eau c’était stressant, mais le bruit, c’était phénoménal.Des cuves à mazout, des voitures tapaient contre ma maison. J’avais une vague de deux mètres cinquante dans le salon qui tourbillonnait. Vers 2 h du matin,le pont a cédé et l’eau a commencé à descendre. Tous les meubles se sont engouffrés dans la cage d’escalier. Je suis sorti à la nage et je suis arrivé surla route. Je n’ai pas vu l’inondation. Dans le noir, je n’entendais que le bruit.Ma maison était en bas du café, de l’autre côté de la maison des associations.Je ne reconnaissais personne. Je n’ai rien touché à la maison pendant quinze jours. Le matin, je partais à 8 h avec des bottes et j’aidais les autres. Jusqu’àce que le club de rugby vienne. J’ai vécu un an et demi au deuxième étage,je campais (une salle de bains, un WC, la chambre, une prise qui ne marchait pas, pas de chauffage, une ampoule...). J’avais de l’eau tiède de temps en temps. C’est quand la Croix Rouge est venue me proposer une soupe que je me suis dit que je touchais le fond, et j’ai fondu en larmes.
  • Christianne Moreno, 70 ans, retraitée, VillegailhencDans l’après-midi, j’étais chez ma sœur à Pesens. Elle me dit qu’il y a une alerte.Alors cela m’a interpellée, car j’ai très peur de la pluie et de l’orage depuisque ma mère avait été inondée avec quatre-vingts centimètres d’eau chez elle en 1972 à Saint-Hilaire. J’ai toujours en tête ces eaux boueuses. Quand je rêve, c’est toujours des eaux boueuses, et donc j’ai très très très peur.De retour à la maison, une amie qui était passée prendre le thé m’a aidéeà rentrer les affaires que j’avais dehors sous la véranda. C’était la fin de journée et le ciel s’est assombri. Mon amie est rentrée chez elle avant qu’il pleuve.Quand j’ai revu ma sœur le lendemain de la crue, elle me dit: « Christianne, hier tu redoutais quelque chose », et c’était vrai.À 20 h , on se met à table avec mon mari et mon fils Sébastien. Je dis à mon fils:« Méfie-toi, il va pleuvoir ce soir.» Il avait construit dans l’abri de jardin un studio de musique. Il adorait la musique.Après le repas, son chien ne voulait pas y aller. Mais Sébastien est quand même allé dans son studio, le cabanon au fond du jardin. Je lui ai dit: « Rentreà 22 h 30.» Il m’a dit : « d’accord ». En principe à 22 h 30, il est à la maison.On monte se coucher. Puis vers 23 h 30, j’entends du bruit. Je me mets sur le bord de l’escalier, et comme d’habitude je l’appelle: « Sébastien, Sébastien». Mais là,il ne me répond pas. Je prends le téléphone, je deviens hystérique. « Sébastien, dépêche-toi de revenir, j’ai peur.» Lui me dit calmement : « Maman, n’aie pas peur. Il ne pleut pas.» J’insiste : « Dépêche-toi, rentre ! »J’étais hystérique. Je dis à mon mari: « Claude, je sens qu’il va y avoir quelque chose.» Et là, il a compris.À un moment, j’entends un grondement. Toujours avec le téléphone etmes lunettes, je descends au rez-de-chaussée. J’entends un bruit: « plouf ». C’était un geyser provenant de la bouche d’aération. Mon mari me dit:« Christianne, il faut colmater.» Je le regarde, il ne comprend pas. Je lui donne un drap et il le fourre là-dedans. Et puis, il me dit: « L’eau, l’eau, l’eau, Christianne, dépêche-toi ! »Il veut sortir bouger les voitures, je l’attrape par la main, je le supplie de rester avec moi. « Claude, ne me laisse pas, tu sais que j’ai peur de l’eau.»Quand il se relève, on entend le courant, et j’ai entendu Sébastien crier.Mon mari est sorti, et la vague est passée sous le porche, elle a tout explosé. L’eau rentrait tellement dans la maison qu’il s’est retrouvé coincé. « Christianne, ouvre-moi, ouvre-moi ! » Quand j’ai essayé, il y avait déjà les meubles de la cuisine qui se déplaçaient. Il s’est accroché à la grille de la fenêtre. L’eau est montéeà grande vitesse. Je ne sais même pas si vous pouvez le comprendre.Je voyais mon mari à travers la vitre, il s’était accroché aux grilles de la fenêtre. Avec la pression de l’eau, la vitre a explosé. Les meubles venaient me taper.Il me dit : « Laisse-moi, monte, monte, tu ne sais pas nager.» Et l’eau me poursuivait dans les escaliers, j’ai perdu mes chaussures. J’étais tellement en état de choc, et en même temps mon cerveau me disait: « Christianne,il faut que tu t’en sortes.»Je suis montée sur la vasque de la salle de bains, il y avait du limon partout. J’ai appelé les urgences, je suis restée au téléphone avec un monsieur. Il fallait que je parle à quelqu’un. D’un seul coup, l’eau est redescendue, mais je me suis dit, j’ai perdu mon mari. Mon fils, c’était un fait.Le monsieur des urgences me disait d’ouvrir la fenêtre. Je ne pouvais pas. Il me disait : « Prenez sur vous, ouvrez-la! Peut-être que votre mari est là ! » Quand j’ai réussi à ouvrir la fenêtre, mon Dieu, toute cette étendue d’eau,ce n’est pas possible. J’appelle mon mari: « Claude, Claude ! » Et à un moment,
  • Pierre Joseph Rouanet, 92 ans, retraité, VillegailhencLa veille, on avait fait un voyage avec le club occitan, nous sommes revenusà 23 h . Je suis allé directement me coucher. Vers 2 h du matin, quelque chose m’a réveillé. J’avais de l’eau dans la chambre, ça pissait dans ma chambre !Je suis monté dans le grenier pour mettre des bassines. Il y avait autant d’eau dans la cour. À un moment donné, la lumière a foutu le camp. Je me suis dit :« Je retourne au lit, je vis ma vie ! » J’avais trente centimètres dans la cuisine. Je me suis levé à 7 h du matin, j’ai écopé le reste. Quand je suis descenduau village, il y avait de l’eau jusqu’au-dessus du monument au mort.C’est là que j’ai réalisé qu’il y avait eu des inondations. Ma voisine, Valentine, est morte noyée.Je suis né dans une campagne qui appartenait à Montipèze à Aragon. Le village est mort. Il faut démolir la moitié du village à cause des inondations. Il y a cinquante ans, il n’y avait pas de moyen de locomotion. Il y avait le boulanger,le boucher, il y avait quatre voitures dans le village. On faisait tout à vélo. Le plus loin, c’était la fête locale à Conques ! Le long de la rivière, dans les maisons, personne n’habitait en bas, c’était des remises. Les gens d’ici savaient...Les anciens ne sont plus écoutés. Le pont a foutu le camp. Ils ont refait ce pont, et il partira à la prochaine inondation ! Aujourd’hui, ils ne savent pas construire des ponts. Il y a des cathédrales, des pyramides, elles tiennent, mais de nos jours, les bâtiments se dégradent vite. Le petit pont du village, lui, très ancien, n’est pas parti, les voitures s’y sont arrêtées. Il est fait de pierres assemblées, pas de ciment, et il ne part pas. Ils ont beau calculer tout ce qu’ils voudront,ce pont nouveau au cœur de Villegailhenc partira, moi je le vois comme ça.En 1921, le pont avait déjà foutu le camp, ce n’est pas la première fois.L’eau était rentrée dans la vieille église. Il y avait eu un mètre d’eau.Ça reviendra, il ne faut pas s’affoler, ça reviendra...
  • Michel Proust, 72 ans, maire de VillegailhencHumainement ça a été très fort.Quand je suis sorti de chez moi à 1 h du matin pour lancer le PCS [plan communal de sauvegarde], je ne voyais plus la maison de mon voisin tellement le rideau était fort. Il y avait déjà des véhicules de pompiers qui étaient arrivés pas loin de chez moi. On ne pouvait pas se rendre à la mairie pour lancer le PCS, j’ai pu seulement appeler les adjoints, mais tous les secteurs se trouvaient isolés.En pleine nuit, les secours ne pouvaient rien faire. Une embarcation a failliêtre emportée. De même pour les personnes qui étaient sur les toits,il a fallu attendre le matin pour les hélitreuiller avec des hélicoptères venusde Perpignan.À 5 h 30, on ne pouvait toujours pas accéder à l’autre côté du village. À 7 h 30, l’eau passait encore par-dessus. Dès qu’on a pu bouger, on a utilisé la cantine scolaire comme poste de secours et ce qui était d’ordre social était fait en mairie. L’eau, l’électricité et le téléphone étaient coupés. Plus d’Internet pendant plusieurs jours, donc impossible de faire les dossiers. On a mobilisé beaucoup d’entreprises, il fallait réagir vite. Les assurances ne voulaient pas que l’on touche les véhicules tant que les experts n’étaient pas venus. Je me suis prisun peu la tête avec la présidente des assurances au niveau national... parce qu’il fallait sauver les gens, les nourrir, nettoyer les maisons...Des bénévoles et des employés municipaux faisaient à manger, matin, midiet soir. On était présent 24 heures sur 24, et ce pendant pratiquement un mois. Tout s’est organisé très vite.Sur 860 foyers, soit 1 700 habitants, 430 étaient impactés. On a eu la chance d’être en octobre et que tous les gîtes des sites carcassonnais soient libres, donc on a pu reloger tout le monde rapidement. L’EPF [établissement public foncier] a assuré le traitement du fonds Barnier, ce fut une première en France. On n’aurait pas pu gérer ça, on était sur le terrain. Mais c’est moi, le maire, qui devait annoncer à la population concernée que leur maison allait être démolie. Les trois premières semaines, il y a eu des psychologues, ils faisaient aussides permanences à la mairie. Il a aussi fallu gérer les dons. Parfois des camions arrivaient avec des matelas tachés, une chaussure sur deux... il fallait tout jeter ! On a eu un monsieur venu de Savoie, il était électricien. Il n’a même pas voulu qu’on le loge. Il campait sur le stade et il allait contrôler toutes les maisons avant de réenclencher le compteur une fois que tout avait été nettoyé.Il est venu quinze jours sur ses congés... Un traiteur est venu de Saint-Gaudens, un dimanche matin. Il est arrivé et nous a dit de mettre des tables etdes chaises. Il a fait à manger pour quatre cents personnes ce jour-là !Dans ce genre de période, on perçoit l’être humain tel qu’il est... Mais c’est parfois désolant ! Je crois en l’être humain, mais pas au bon Dieu : avec l’arrivée des dons, on a dû virer des gens, faire intervenir les gendarmes. Des sinistrésou non chargeaient leur voiture, prenaient tout et insultaient ceux qui s’occupaient des dons... Il y a vraiment des extrêmes. C’est là où on voit la vraie nature humaine.
  • Lino Giacomel, 14 ans, VillegailhencJe venais de rentrer en sixième, c’est un passage... Le lundi 15 octobre, il y avait une sortie scolaire prévue dans une grotte. Le dimanche soir, je prépare tout,le pique-nique, mes affaires, c’est la hype. Du coup, j’ai eu du mal à m’endormir. Je finis par m’endormir vers 1 h du matin, avec la pluie qui tombe sur le véluxde ma chambre. Ma mère vient me réveiller à 5 h avec la lampe de son téléphone : « J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’y a pas école; la mauvaise, c’est qu’il y a une catastrophe naturelle.»Je ne comprends pas, j’essaie d’allumer les lampes. Rien ne marche. Je descends les escaliers, le chien arrive à la nage. On est sorti de la maison à 8 h 30.Pour moi, ça s’est passé vite. Mes parents ne m’ont pas réveillé plus tôt,pour pas que je sois traumatisé.On a eu deux mètres quatre-vingts dans le salon. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le réveil, l’eau, la pluie qui fracasse mon vélux. Je ne comprenais pas pourquoi ça m’arrivait à moi. Je ne m’attendais pas à vivre ça.À la moindre pluie, on y repense. Mais pourquoi on se ferait inonder une deuxième fois ? C’est quelque chose que je redoute, ça me traumatise vraiment. Je n’ai pas peur, mais je reste sur mes gardes. Je prévois de monter des affaires à l’étage. Je suis parti vivre chez ma grand-mère. Quand je suis revenu, je parlais beaucoup à mes copains. Ça m’a pas mal perturbé, car je devais prendreun bus à Ventenac à huit kilomètres d’ici, pour aller au collège. J’étais content de prendre le bus avec mes copains, et là je devais prendre le bus seul.Le trajet était long.Six mois après, on est revenu vivre ici.Ça fait quatre ans et les travaux ne sont pas tous finis, on n’a pas encorede cuisine. Pour une vie de cinquante ans, ce n’est peut-être pas long, mais pour moi qui n’ai que 14 ans, c’est long ! Une catastrophe naturelle, c’est quelque chose d’imprévu, subitement. Ce n’est pas la volonté de l’homme. Ça traumatise. On n’a pas eu de chance, c’est catastrophique, c’est comme ça.
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  • Pierre Visentin, 58 ans, agent de service technique à la mairie de Trèbes, VillalierQuand j’ai vécu les inondations, j’étais à Villalier, pas sur Trèbes. Le matin,je me préparais pour aller travailler. Pas de lumière. Et les pieds humides. Quelques fuites d’eau ? J’appelle mon chef, je lui dis que j’aurais du retard.Il me dit de ne pas venir. J’ouvre les volets, je vois le maire et des gens passer, emmitouflés. Je ne savais pas qu’il avait plu pendant la nuit. J’ai vécu quatre inondations dont celle de 1970, où il y avait eu quarante centimètres dansla maison à Trèbes où était ma mère. Je me souviens de mon père et de tout le voisinage dans le quartier de l’Aiguille ; quand il pleuvait, ils mettaientun bâton dans la rue pour voir le niveau de l’eau. Une heure après, on jaugeait si par rapport à cela il fallait monter les meubles ou pas.Je suis allé faire le petit-déjeuner pour des gens sinistrés. Le téléphonene passait pas, les accès étaient fermés, j’étais sans nouvelles de ma mère.Sur les coups de midi, j’étais sur le pont de l’Orbiel. Un ancien pompier de Trèbes me dit que l’on peut y accéder difficilement, il y a des cailloux, des arbressur la route...Mon frère m’appelle. Ma mère, 86 ans, avait un étage. Par précaution, on l’avait installée en bas pour qu’elle soit à proximité des toilettes. Je dis à mon frère : «Je le sens mal...»J’arrive à Trèbes, côté pont du canal, des bateaux sont sur le côté.La police municipale puis les pompiers m’arrêtent : « Tu ne peux pas y aller,c’est l’apocalypse.» Au dojo, je tombe sur des élus de la mairie de Trèbes: «Pierre, ta maman.»Quand le maire termine sa conversation, il me fait signe de venir, me serrela main, il me regarde. Ma mère était morte. Pas un mot. C’est le pire. J’étais anéanti. J’ai culpabilisé de l’avoir mise dans la chambre du bas. Elle a tout pris. Deux mètres dans la maison, de l’eau boueuse, froide, la porte qui s’ouvre dans le sens contraire... Je ne voulais pas entendre que ma mère était morte noyée. J’ai eu heureusement la confirmation de l’équipe de sauvetage qu’elle n’est pas morte noyée.La folie ! Du limon, de la terre. Affreux ! Quand vous voyez cette trace de limon sur la tapisserie...Je ne pouvais plus rien faire. Je ne pouvais pas rester chez moi. Je me suis misà la disposition de la mairie de Villalier. Il fallait que je m’occupe l’esprit.J’ai repris le travail le jeudi. Le maire me voit : « Tu t’en vas, tu quittes le boulot, une semaine, un mois, je ne veux plus te voir.» Il a fait son rôle de A à Z.On est parti à la frontière suisse chez notre fille.La maison de ma mère a bénéficié du fonds Barnier, elle a été détruite.J’y passais tous les jours pour aller au travail. Tous les matins pendant deux ans et demi, j’avais l’impression que j’allais la voir à la fenêtre. Mes collèguesme disaient de changer d’itinéraire. Mais je ne pouvais pas. Je rentrais dansla maison. Il y a eu du pillage. Il ne reste plus rien.J’ai repris le boulot après trois semaines. J’ai commencé à vider les maisonsdes autres.
  • Christelle Perez, 50 ans, bibliothécaire à Trèbes, avec ses fils, Clément, 16 ans, et Baptiste, 19 ans, Conques-sur-OrbielJe savais qu’il y avait une alerte orange. On en rigolait avec les amis sur lesréseaux en disant : « Si en plus il y a des tuiles qui tombent ! » Toutes ces alertes,je ne m’en suis jamais préoccupée, car on n’a jamais vécu de catastrophe.Ma mère m’avait parlé des inondations dans le quartier de l’Aiguille. Les anciensmettaient des petits cailloux vers le camping, c’était leur instrument de mesure.Je me couche, pas plus inquiète que ça. Ma mère m’appelle et me demandede dormir à l’étage avec mes enfants. Je reste en bas avec mon jeune fils. Quandje me suis réveillée, j’ai trouvé qu’il pleuvait très fort. Ma mère m’envoie un texto :«Je suis sur le site Vigicrue, je trouve que ça monte vite.» Mais elle n’était pastrop inquiète. « Christelle prend des photos de tes pièces, prendsles photos des enfants et monte ça à l’étage.» J’ai dit à mon petit, Clément, demonter. Il prend des petits bibelots, cela le rassurait. Ma mère me dit : « Ça monte,ça monte.» J’imaginais qu’on pouvait avoir cinquante centimètres, je ne voulaispas partir de chez moi. Je voulais sauver des affaires.Je réveille Baptiste pour qu’il m’aide. On a mis tout ce qu’on pouvait mettreen hauteur. On était inconscients, on ne se rendait pas compte de ce qui allaitarriver. Je faisais des photos, on rigolait ! Je voyais l’eau monter, elle étaità la moitié de mes roues de voiture. Ça, c’est la dernière image que j’ai du jardin.Entre 5 h 10 et 5 h 15, il a fallu se rendre à l’évidence : l’eau rentrait dans la maison.Grosse panique, j’étais en stress. On s’est replié dans la cuisine, puis onest monté à l’étage où on devait être en sécurité. L’eau est montée d’un coup,trois marches avant l’étage. On n’a plus de mesure exacte. Il fallait que l’onmonte dans les combles. Il y avait un accès dans la salle de bains. C’est montési vite, je me disais que ça pouvait encore monter.J’avais les jambes dans le trou de l’ouverture et avec la lumière du téléphone,je surveillais le niveau de l’eau. Il n’y avait pas de velux, alors Baptiste s’est misau plus bas du toit et il a mis son dos par terre et avec les pieds... des tuilesont cédés. On avait une ouverture vers l’extérieur. On n’est pas monté sur le toit.Baptiste a appelé les pompiers. Le gamin était calme, avec du sang-froid.Combien on est, mettez-vous à l’abri... avec toutes les recommandations. Il y a euun glou glou... cette eau propre est devenue dégueulasse. On entendait desgrondements, des cris. On pensait à nous, on a essayé de se sauver, et on n’a paspensé aux voisins. Je m’entendais bien avec eux. Ils sont morts. C’était égoïste.On est resté cinq heures dans les combles, c’était interminable. On s’est misà pleurer à tour de rôle. On a eu les pompiers plusieurs fois dans la nuit.À la fin, on leur disait : « Venez nous sauver, sinon on va crever ! » Ils disaientqu’ils allaient venir en barque. Mais ce n’était pas possible de passer en barque.Les hélicoptères étaient en route, je m’inquiétais avec les platanes...Je n’étais plus maîtresse de ma vie, c’est l’eau qui dirigeait ma vie. Je ne pouvaisrien garantir à mes enfants, même si je les rassurais par des paroles. De savoirque l’on dépend des éléments naturels, c’est terrible. J’ai prié, j’ai prié mon père,j’ai ressenti sa présence. J’ai appelé les gens que j’aime pour leur direce qu’on vivait et leur dire au revoir. Les petits ont laissé un message à leur père.J’étais hors du temps. Le choc traumatique fait que le cerveau se meten « sécurité ». J’ai eu l’image de promener mon cerveau en laisse.Baptiste, mon aîné, a été notre maître, il nous a montré ce qu’il fallait faire.Par la suite, on avait besoin de parler de ce qu’on avait vécu, mais j’ai sentique les gens en avaient marre, il fallait passer à autre chose.J’ai besoin de tout, je n’ai plus rien, je suis rentrée chez ma mère avec un sacen lui disant: «Voilà, on va recommencer avec ça.»
  • Jean Sentenac, 68 ans, vigneron, TrèbesDans la nuit, la rivière n’avait quasiment pas d’eau dans son lit. Il s’est misà pleuvoir. Nous étions depuis quelque temps sous alerte orange, la énièmede l’année. Cela fait cinq générations de vignerons que nous vivons surce domaine, donc nous sommes habitués à vivre avec la rivière à côté, avecdes inondations. Ma grand-mère n’était pas née, elle est de l’année suivante, mais elle nous a toujours raconté l’inondation centennale de 1891. Ça avaitété un cataclysme, avec des morts. La seule maison qui n’avait pas pris l’eau, c’était celle de la famille, où vit ma mère actuellement, car elle était surélevée.Il y a encore quelques années, ni mon père ni moi ne pensions que cela arriverait. Nous avons d’ailleurs construit un peu en dessous en 1988. À cette époque-là,il n’y avait pas d’interdiction. On avait surélevé la maison. Maintenant,c’est considéré comme zone inondable.Cette nuit-là, nous sommes allés nous coucher, il pleuvait fort. J’avais un avionà prendre et j’avais mis le réveil à 4 h . Mais ce n’est pas le réveil qui m’a réveillé, c’est le bruit des tonneaux de bar qu’on utilise comme mobilier devantla maison. Ils se percutaient. À 4 h 30, nous avions de l’eau devant la porte. C’était impressionnant car c’est monté à une vitesse colossale. À ce stade-là,je ne pensais pas que nous aurions de l’eau dans la maison.Nous n’avions rien préparé, nous n’avions pas mis les batardeaux... Mais cela aurait été inutile. Nous n’avons pas eu le temps de sauver quoi que ce soit, voitures, tracteurs...Le temps d’aller chercher un tracteur, j’ai failli me faire embarquer. Je pensais que c’était le maximum qu’il pouvait tomber. Mais il continuait à pleuvoir, toujours aussi fort, aussi dense. À un moment donné, ça s’est stabilisé vers6 h 30-7 h . Il faisait encore nuit. J’ai repris un peu d’espoir. Et puis en vingt minutes, il est arrivé un mètre de plus. L’eau rentrait dans la maison. On a sauvé l’ordinateur et des papiers, puis on est allé se réfugier à l’étage. Je savaisque ma mère, à côté, était surélevée. Je ne voulais pas l’affoler. On avait des arbres qui passaient devant la porte. On a attendu. J’avais de l’eau à mi-cuisse. La décrue s’est amorcée très lentement. On a perdu un chien, l’autres’est réfugié en haut d’un tas de ferraille.Les trois premiers jours, plus d’électricité, plus d’eau.L’eau n’est pas rentrée chez ma mère, à dix centimètres près ! On a passé quasiment la journée du lundi sans communiquer. Ma mère avait 86 ans.Elle a la culture de la vie au bord de l’eau, elle ne pensait pas vivre ça.Cette vague qui nous a vraiment submergés, le canal qui a crevé ; l’Orbielet ses affluents, le Trapel qui ont amené tellement d’eau dans la plainede Villalier et de Malves...Les arches du pont-canal où passe l’Orbiel étaient bouchées par des embâcles, et l’eau a débordé et est passée dans le canal. C’est comme un barrage qui pète. Donc on a eu un mètre d’eau supplémentaire. C’est ce qui s’est passé en 1895,le canal avait crevé. Il faut nettoyer le lit de la rivière.Nous avons eu des dégâts considérables dans les vignes, un mètre soixante d’eau sur quarante-deux hectares ! La cave était submergée. On venait de finir les vendanges, j’avais des cuves en fermentation, des cuves souterraines.La perte s’élève à plus de deux cents hectolitres de vin. Tous les équipements étaient sous l’eau.On a dû redresser les vignes. Les pieds avaient tenu, couchés. Avec beaucoupde travail, d’aide de voisins, de vignerons venus de loin, on a pu tailler. Il y a eu beaucoup de solidarité. Pratiquement deux mois après, il y avait cent vingt personnes sur le domaine. Au travers des syndicats professionnels,des vignerons du Gard sont venus nous aider. En plus, c’étaient des pros !La vigne est une plante extraordinaire, à force de travail et de remise en état,on a planté des milliers de piques. Quelques parcelles ont été très ravinéeset on n’a même pas replanté dessus, mais c’est moins de 1 % du domaine.L’eau est montée tellement haut, elle n’a pas tellement raviné le sol, au contraire elle a déposé du limon.On travaillait jour et nuit pour remettre à niveau le vignoble. La vigne a unetelle résilience qu’on a eu une bonne récolte l’année suivante, dans la moyenne des dix dernières années.J’ai fait pas loin d’une vingtaine de déclarations aux assurances. Elles ont bien joué le jeu. Nous avons eu rapidement deux tracteurs neufs. On a réparé deux vieux tracteurs, et beaucoup d’autres matériels. On a fait du tri, on n’a pastout remplacé, on a réparé. On a sauvé une partie du vin en cave, car elle était fermée. Mais la force de l’eau est inimaginable. L’Aude passait dans la caveavec des troncs d’arbres. Des cuves sont sorties et ont été retrouvéesà une centaine de mètres dans les vignes. On voyait les canalisations surle chemin pour venir à la maison. On a eu trois camions de plus de trente tonnes de gravier pour pouvoir passer.Puis on a eu le Covid et la gelée noire (c’est sec et on descend à - 5 ou - 6et ça devient marron). On a passé trois à quatre ans à remettre à jour le matériel, donc pendant ce temps on n’a pas investi dans l’innovation.Nous sommes dans une accélération de phénomènes que l’on n’a jamais connus.
  • Marie-Thérèse Brassens, 68 ans, retraitée, TrèbesLa veille, il y avait eu une alerte orange, mais je n’avais pas d’appréhension. Dans la nuit, mon chat, d’habitude calme et paisible, s’est mis à miauleret m’a réveillée. Je suis descendue, il y avait de l’eau le long du couloir. J’étais un peu endormie, j’ai pris une serpillère et j’ai commencé à éponger, mais l’eau continuait de rentrer. D’un seul coup, un chuintement très fort : l’eau rentraiten cascade par la fenêtre. Il était 5 h 30-6 h. L’eau est montée très vite, une marche, deux marches, trois marches... Là, j’ai commencé à avoir peur. J’ai voulu appeler les pompiers, mais dans la panique j’ai appelé la gendarmerie.Un jeune, très gentil, à qui j’explique la situation, me pose une question qui me restera tout le temps : « Est-ce que vous avez un étage ? » Je lui réponds que oui. «Restez à l’étage et si l’eau monte, grimpez sur un meuble...»J’entendais l’eau rentrer, et les bruits... des casseroles qui s’entrechoquaient, des craquements, des meubles qui se levaient, le canapé à la verticale, la maison en vrac... Le bruit, c’est ça qui m’a le plus marquée. J’avais une cuisine vivante, tout tombait, les verres, les assiettes, les meubles se cognaient les uns contre les autres, une cloison s’est percée...J’ai pensé à ma voisine qui a 96 ans. J’avais peur qu’elle descende et qu’illui arrive malheur. Je suis allée à la fenêtre et on se faisait signe avec nos piles pour se dire bonjour.Ma voiture s’est mise à clignoter, j’ai cru que les pompiers arrivaient, j’étais perdue, sidérée, en état de choc.La décrue s’est amorcée. Sans vraiment réaliser ce qui se passait, j’ai pris une éponge et j’ai nettoyé mes marches. C’était mécanique, sans avoir conscience de la gravité de ce qui venait d’arriver.Et puis le matin, j’ai vu la boue dans mon salon, et j’ai compris que j’avais perdu beaucoup de choses. C’est une voisine qui est venue. Elle m’a dit : « Ouvreles portes pour que l’eau sorte.» Il restait encore de l’eau et je n’avais même pas eu ce réflexe. J’étais vraiment sous le choc.Puis la solidarité s’est installée de suite, la famille, les amis, les institutions. J’étais plus chez moi. Ça allait, ça venait, on m’enlevait mes meubles,on me faisait la vaisselle. C’était une obsession, il fallait que je reste chez moi. Une psychologue est venue. J’ai eu l’impression d’être portée, bien accompagnée.Je n’ai jamais eu l’idée de partir. Je me suis dit : « Essaie de reconstruire,si ça reproduit, tu partiras.» Ça fait vingt-six ans que je vis ici. Je n’ai pas peur de rester. Je ne pouvais plus rester au rez-de-chaussée, je ne voulais plus voir. Dans un premier temps, je suis allée chez des amis, puis je suis restéeau premier étage.J’ai perdu ma mère en janvier 2019, d’un cancer généralisé ; le 5 janvier,mon petit-fils est né avec un problème d’AVC in utero ; le 1er juillet 2019, mon frère a été découvert mort chez lui brutalement ; en février 2020, le père demes enfants s’est éteint... Je me suis dit : « Tu n’as pas le choix, il faut avancer. » Cet évènement m’a beaucoup changée.
  • Mireille Mons, 49 ans, aide-soignante à l’Ehpad de TrèbesLe soir, quand on est arrivé, on a fait les transmissions. Mes collègues, avantde partir, ont dit : « Que le toit ne vous tombe pas sur la tête ! » Le vent continuait à souffler. Je n’ai pas de notion du temps. Il y avait plein d’eau. Une dameétait par terre en plein milieu du couloir, on l’a relevée, changée... et puis tout s’est enchaîné.On est resté très calme, même les résidents. On les a montés au premier étage.Il en restait cinq que l’on n’a pas pu monter, alors on les a suspendus avecdes filets pendant au moins deux ou trois heures. Une dame criait parce qu’elle avait mal. Pendant longtemps, chaque soir en allant me coucher, je l’entendais. L’ascenseur fonctionnait au départ, mais en cas d’inondation, on n’a pas le droit de l’utiliser. Puis il n’a plus fonctionné. On a essayé de monter un monsieur,mais on n’arrivait pas à le soulever.Les trappes de désenfumage se sont ouvertes, il pleuvait à l’intérieur.Là, je me suis sentie désespérée. Je ne sais pas si les résidents réalisaient.Ma collègue était très calme. On a trouvé un équilibre pour faire face.Avec le jour, on a vu la route près de l’Ehpad, elle était ouverte comme s’il y avait eu une bombe.Quand les pompiers sont venus nous aider à détacher les malades, ils nous ont dit : « On est venu taper deux fois dans la nuit, mais vous n’avez pas répondu. »Et ils nous ont laissés. Est-ce que c’était vrai, ou pas... je ne comprends pasque les pompiers nous aient laissés comme ça. J’y repense encore, et ne pas avoir de réponse... Ils ont évacué les résidents, les ont dispersés.Je me suis posé la question de savoir si je devais partir. Mais pour aller où ?Il fallait que je me confronte peut-être à la structure avant d’envisager de partir, et finalement j’y suis restée.Lors de l’inondation, on était dans l’action, tout était noir. C’est après que çaa été dur.
  • Nordin El-Faquir, 48 ans, employé au Super U de TrèbesCe jour-là, comme tous les matins, je vais travailler. Ma femme avait écouté la météo, elle ne voulait pas trop que j’y aille. Je l’ai rassurée, et je suis parti au travail. La route était un peu inondée. J’arrive le premier au Super U,il est 4 h 45. Puis le reste de l’équipe arrive.Avec l’heure qui avance, on voyait l’eau monter, monter, monter... Nous sommes allés nous réfugier au niveau des bureaux au premier étage. On avait l’électricité, c’était chauffé, on avait tout, même le café ! Au vu de la situation, j’ai eu enviede rentrer chez moi, mais mon chef me l’a interdit. Par contre, j’ai insisté pour aller garer ma voiture plus haut. Le reste de l’équipe a fait de même. En revenant au magasin, on avait de l’eau aux genoux.Nous étions dans le bureau de la gérante. On ne pouvait rien faire. Et puis,plus d’électricité. Les alarmes incendie et intrusion se sont déclenchées.Nous avions les sirènes qui hurlaient dans les oreilles, ça a duré toute la matinée. C’est auto-alimenté, j’ai donc donné un coup de cutter au niveau des filsde l’alarme intrusion. Mais l’alarme incendie continuait. J’ai colmaté, maison l’entendait toujours.On était tous mouillés jusqu’à la taille. J’ai mis des sacs-poubelles à chaque jambe, puis je suis allé chercher quelque chose à manger pour l’équipe :dans le magasin, tout flottait...Au bout d’un moment, on n’avait plus de batterie. Sauf Florian qui avaitun téléphone à clapet. Chacun y mettait sa puce à tour de rôle pour prévenirsa famille.Une murette était tombée chez moi, je voulais partir, mais mon chef et une collègue m’ont retenu. Je ne voyais pas l’eau comme un danger, je me disaisque je pouvais nager, je n’avais pas peur. Avec du recul, je réalise quec’était inconscient de vouloir sortir.Je pense qu’on est sorti à 14 h 30, avec le camion de pompiers. C’est l’associéde mon chef qui m’a ramené à la maison.Pendant les trois mois qui ont suivi, je suis resté auprès de ma femme qui avait besoin de moi, puis j’ai repris le travail.
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  • Jean-Philippe Roucoule, 43 ans, électricien, Saint-HilaireÀ 6 h du matin, devant la maison, il y avait de l’eau, on ne savait pas si c’étaitle début ou la fin.J’ai deux filles de 2 et 6 ans. Ma femme a pris les petites pour monter en hauteur chez mes parents. On a pris le camion avec un copain. On est passé paren haut. On arrive au pont. Les pompiers nous ont arrêtés. On a fait demi-tour. On est retourné au pont vingt minutes après.Ma grand-mère maternelle est âgée de 96 ans. Elle habite près de la rivière. On avait installé son lit au rez-de-chaussée quelques jours avant. On décide de passer derrière l’école. Il y a un mètre cinquante d’eau dans le lotissement. Là, on a été inconscients. On traverse et passe les grillages pour aller chezma grand-mère. La porte était bloquée, on finit par rentrer. Ma grand-mère était là, elle flottait sur un mètre cinquante d’eau. Je ne sais pas si elle comprenait. Tout a explosé et tout est rentré par les fenêtres. Elle était réveillée, maiselle ne nous disait rien. Elle n’a pas bougé et c’est cela qui lui a sauvé la vie.On l’a porté à deux pour la mettre à l’étage. Je lui ai mis des couvertures.On ne pouvait pas la ramener à pied. L’eau commençait à redescendre. Toujours pas de téléphone. Il était 6 h 45. Pour elle, c’était un rêve, elle n’a pas vraiment réalisé. Puis elle est partie vivre chez ma mère.Tout le monde a arrêté de vivre, et on a fait du nettoyage...
  • Suzanne, 65 ans, et Jean Bonnarel, 69 ans, retraités, Saint-HilaireJean – Vers 4 h du matin, j’ai été réveillé par un éclair dans la climatisation.Les toilettes faisaient « glouglou ». Je suis allé à la fenêtre de la chambre et l’eau atteignait le rebord de fenêtre. Un mètre quarante d’eau. Quand j’ai vu ça,j’ai dit qu’il fallait s’habiller et s’en aller. On a essayé de sortir, mais impossible d’ouvrir la porte.Suzanne – J’ai appelé les pompiers, ils m’ont dit qu’ils allaient venir. Ils m’ontdit de débrancher tout ce que je pouvais. J’ai pris un sac et j’ai mis toutce que je pouvais (chéquiers, lunettes, portefeuille, livret de famille...).J’ai rappelé les pompiers, je leur ai dit que s’ils ne venaient pas, ils auraient deux morts. J’ai peur de l’eau, je ne sais pas nager. Les portes se sont dégondées.On a pris deux chaises dans la cuisine, on est monté dessus et on est resté comme ça une heure, main dans la main, à attendre. Au bout d’une heure, une heure et demie, on a vu une clarté par la vitre, c’était le voisin qui criait pour voir si on était en vie.Jean – Je suis allé en nageant à la porte pour le prévenir. Il a ouvert la porte-fenêtre et il est parti cinq mètres en arrière. J’ai cru qu’il allait y passer.Suzanne – Il m’a pris sur son dos et on est sorti. Si on avait réussi à ouvrirla porte, l’eau serait montée d’un coup et nous aurait emportés ou rabattus comme les meubles. Ma voisine m’a dit : « Je vous ai cru morts noyés. »Il y avait tellement de remous chez nous.Jean – En face, ils avaient deux mètres d’eau. Je pensais que c’était le Lauquet qui nous avait inondés, et quand on m’a dit une vague, je n’y croyais pas.La vague est passée par-dessus les maisons. Et la boue partout. Des genssont venus, pas pour bader mais pour nous aider, comme les jeunes agriculteurs de Castel, la famille...Suzanne – Partir d’ici ? Moi, ça m’a titillée.Jean – Moi non, le Lauquet, je l’ai toujours vu monter, comme en 1999, il était monté jusqu’au petit muret. Au bout d’un mois, les plâtres étaient secs.On a voulu revenir. C’est là que cela a été dur.Suzanne – On est revenu en mars, on a fait notre premier repas de famille. On n’a pas vu de psychologue. On a beaucoup parlé avec la famille.Jean – Aujourd’hui, s’il remonte, on s’en va. Mais ce qui est arrivé, c’est une vague, pas une inondation. Quand je le vois monter, j’ai la trouille, mais il faut arriver à surmonter cette peur. La chose que je regrette, c’est d’avoir perdu le carnet de 14-18 de mon grand-père.
  • Guy Mestre, retraité et pompier bénévole, 59 ans, LimouxIl y a de plus en plus de catastrophes. Les vigilances orange sont nées avec les inondations de 1999. On se rappelle encore de Vaison-la-Romaine, un évènement qui a préparé en quelque sorte aux inondations à venir.La rivière est passée sur le pont à Saint-Hilaire, à douze mètres de hauteur. Quand on sait qu’il y a des maisons en contrebas, on essaie de trouver une route d’accès.Je me suis rendu à Saint-Hilaire par en haut et je suis allé à la maison de retraite. C’était le premier point, car ce sont des personnes vulnérables, cinquante-deux résidents. Il y avait de l’eau à la hauteur des matelas. J’y étais vers 5-6 h ,je ne sais plus exactement, dans ces moments-là on ne regarde plus tropla montre. En tant que pompier, les situations se suivent, ne se ressemblent pas, et on fait preuve d’adaptation.On savait que l’Ehpad était en zone inondable. La présence du personnelest capitale car ils connaissent les résidents. Ils ont été évacués dans des minibus adaptés vers l’hôpital de Limoux. Tout s’est passé dans le calme,avec la bienveillance du personnel et l’aide du centre hospitalier.Ensuite, il y avait 450 personnes à faire manger. Mes gars avaient les piedsdans la boue, ils bossent dur, c’est physique. On mérite plus qu’un sandwichà midi, alors un jour je leur ai dit : « Demain, on mange chaud ! » Qu’est-ceque je n’avais pas dit. En face de moi, il y avait des personnes qui pleuraient ! On a amené un véhicule de logistique. On a été victime de notre succès, les bénévoles, la sécurité civile, les habitants, tous sont venus... on a occupé l’école. Quand les bénévoles extérieurs repartaient, les habitants faisaient des allées d’honneur et les applaudissaient. Je leur ai dit : « Il va falloir perdre l’habitude de faire ça, car bientôt vous allez vous retrouver seuls, et c’est ça le plus dur, quand il n’y a plus personne.»Nous, on a une vision globale, on a nettoyé les maisons, les rues... Quand ona nettoyé l’Ehpad, avec deux cents jeunes du sud de la France, je leur ai dit : «Vous voyez ces locaux, il y avait des papys et des mamies, ça aurait pu êtreles vôtres, alors on va nettoyer pour eux et les gens qui y ont travaillé.»Dans ces périodes de crise, il faut avoir l’esprit de solidarité. Avec les élus,on a trouvé une écoute qui est à souligner. Et les gens, surtout des femmes, nous ont aidés pour la logistique, même après comme Angélique [Delpech]ou Albane [Dreux]. C’est plus qu’un élan solidarité, c’est de la compassion envers nous. Cela nous a facilité le travail. Il ne faut pas attendre des moments comme ça pour aller vers les autres, être solidaire, faire de belles actions,aider les gens à sortir de l’embarras.
  • Thérèse Del Vals, 64 ans, retraitée, Saint-HilaireJ’habite cette maison depuis 2017. Je suis une nature forte, je suis combative.À 2 h 30 du matin, j’ai entendu la box faire du bruit. Je suis descendue,il n’y avait pas de lumière. Je suis remontée, j’ai ouvert la fenêtre de la chambre. Il pleuvait mais pas fort. Je ne voyais rien, il n’y avait pas d’éclairage public.Mais j’entendais un grondement au loin, ce qui m’a beaucoup frappée.Je m’interroge encore, mais je pense que j’entendais un roulement de rivière,en continu, comme s’il y avait quelque chose qui déferlait. La chronologieest compliquée. Mon portable a sonné, c’était ma cousine, complètementaffolée : « Tu n’es pas inondée ? Va-t’en ! » Elle me parle de sa sœur, Christianne [Moreno] à Villegailhenc : « La maison est inondée, elle est accrochée au lavabo.Il n’y a plus la cabane, elle est partie avec Sébastien et le chien. Et Claudeest accroché à un arbre, et il ne va pas tenir longtemps.»Alors je lui réponds : « Pourquoi tu me dis tout ça, je ne peux rien faire ! »Elle : « Je sais, mais j’ai besoin de le dire. »Toute la nuit avec ma voisine d’en face, on se faisait des signaux lumineuxavec le téléphone, pour se rassurer. On ne pouvait pas se parler, il y avait tropde bruit. L’eau continuait à monter. J’ai été très passive, je n’ai rien essayéde sauver. Tout flottait dans la pièce principale. Je me suis assise et j’ai regardé. Les mécanismes électroniques des voitures étaient bloqués, tout sonnait,c’était horrible.Je me suis couchée habillée sans me rendre compte que j’étais mouillée,j’étais dans un état de léthargie complète.Je suis sortie vers 5 h , j’ai ouvert la porte et toute l’eau est rentrée. J’ai refermé, mais ça continuait. On était entouré d’eau. Je voyais des masses d’objets passer. Dans les jours qui ont suivi, j’étais désemparée car je n’avais plus de chaussures. On m’a donné une paire, et ça m’a bouleversée. Je viens d’une famille espagnole très pauvre, nous étions sept enfants et mon père était malade. Quand j’étais petite, on n’avait pas de quoi manger. Mes parents sont venus en France pour travailler mais ils n’avaient rien. « Une main devant une main derrière », commeon dit.Les trois premiers jours, j’ai cru que c’était un seul jour. Je dormais chez une amie. Je ne me suis pas lavée ni brossée les dents ou changée, je me couchais habillée, je ne pouvais pas. J’avais l’impression d’être une souillon.Dès que j’ai pu, avec mon frère, nous sommes allés à l’Ehpad voir ma mère.Elle avait un lit Alzheimer, elle avait froid, les volets étaient fermés. « Tengo frio, Tengo frio », me disait-elle. Mon frère s’est occupé de maman et moi je suis revenue chez moi. Elle a beaucoup souffert. Elle n’a pas pu le dire, avec Alzheimer, elle est partie à l’Ehpad de Limoux et elle a cessé de s’alimenter. Quand j’ai pu trouver une voiture − il n’y avait plus de voiture en vente surl’Aude – j’allais la voir. Je lui donnais à manger, mais elle ne savait plus déglutir, elle gardait la nourriture dans les joues. Elle est morte un mois après. Elle s’est laissée mourir. Je sais qu’il n’y a pas eu de mort à Saint-Hilaire, mais pour moi, ma mère est morte à cause des inondations.
  • Serge Martinez, 59 ans, employé à la Safer, Saint-HilaireÀ 22 h sonnantes, ça commence à tomber. Vers minuit, on va se coucher, volets fermés, fenêtres ouvertes. Vers 4 h , c’est un cri qui m’a réveillé. J’ai penséà des jeunes qui sortaient de boîte de nuit, ça arrive parfois. Je me remetsau lit, mais les cris reprennent, et là, j’entends distinctement : « Au secours ! » On est sortis sur la terrasse avec Marianne, mon épouse. On avait de l’eau jusqu’à la dernière marche. Nous étions bien au-delà de la crue de 1999.Un bon mètre de plus.Stéphanie Roux habitait au-dessous. Je passe le portillon, j’avais de l’eau au-dessus des cuisses. Elle était debout sur son quad et il y avait de l’eau jusqu’au guidon. Je suis retourné chez moi pour prendre une corde d’escalade, mais je ne l’ai pas trouvée. Mon fils avait bricolé une bouée et c’est grâceà ça que je suis allé jusqu’à elle.Elle me dit : « Sauve mes chiens d’abord ! » Elle venait déjà d’en perdre un dans son salon au rez-de-chaussée. Elle habitait côté rivière et dormait au premier étage. Elle est sortie avec deux chiennes. Pendant ce temps-là, la rivière a rempli son salon et le sas d’entrée en contrebas. Ça faisait syphon et elle s’est retrouvée piégée, à l’abri du courant entre les deux maisons, mais incapablede retourner à l’étage. Du coup, elle était debout sur son quad avec ses chiennes. « Sauve mes chiens ! » Elle n’a pas voulu venir. J’ai fait passer les chiens, j’avais de l’eau jusqu’au nombril, et ça montait. Quand je me suis mis à l’eau pour aller la chercher une troisième fois, je me suis dit qu’avec une bonne impulsion, ça allait passer. Si je partais, j’étais mort. Mais je n’ai pas réfléchi une seconde. Je lui ai donné la bouée, j’avais de l’eau au niveau des épaules. Il y a untruc qui m’a tapé la poitrine, je pense que c’est une bille de bois de chauffage. J’ai vu passer des gros seaux de peinture, un truc blanc qui ressemblaità un frigo et surtout une cuve à vin de 20 hectolitres. Ça m’a arrêté. On est resté là. Si on traversait, on y passait.Du coup, on est resté debout sur le quad, de l’eau jusqu’au cou, on se tenaità la tonnelle au-dessus. Entre-temps, une des chiennes était revenue pour sauver sa maîtresse. J’ai vu l’escalier de la remise qui montait au premier étage. On est passé par là. Stéphanie avait de l’eau jusqu’à la taille, sachant quele grillage est déjà à deux mètres du sol. J’ai ramené la chienne. On a nagédans la cour des voisins, ils avaient une cuisine d’été, les meubles flottaient.On était hors courant sur le côté. Notre espèce de bouée commençait à se dégonfler. En tirant Stéphanie, je me suis agrippé à un truc, j’ai pris conscience que c’était l’antenne de l’autoradio de la voiture. Nous étions en trainde marcher sur le toit de la voiture. On est monté au premier étage et l’eauest montée jusqu’à la dernière marche. J’ai installé une table, une chaise dessus pour pouvoir continuer à monter, si besoin. On a mis deux fauteuils côte à côte, Stéphanie a trouvé une bâche. On s’est enroulé dedans avec la chiennesur nous et on a attendu trois heures. Je me levais toutes les trois minutespour voir le niveau de l’eau. Si j’avais pris un shoot de cocaïne, je n’aurais pas été plus excité.Vers 4 h du matin, j’ai vu des gyrophares. On était plus tout seul. À 7 h 30,je suis redescendu. Marianne, mon épouse, et Henry, mon fils, étaient au premier étage. Je pouvais voir ma maison dans l’eau avec la Twingo de Mariannequi flottait dans le jardin. Plus tard, un ami pompier m’a dit que j’avais prisdes risques démesurés. J’avais deux choix : soit la regarder mourir, soit essayer de la sauver.
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